Marre de la pluie, cela fait deux jours qu’elle nous cloître dans le cube douillet de nos chambres. Je pars me promener pour sentir l’air frais sur mon visage, détendre mes muscles et aussi éliminer ces gyros* qui semblent s’accrocher directement sur mon postérieur. Le ciel, n’accordant aucun crédit à mon enthousiasme pseudo-sportif, continue à déverser ses larmes grises. Tant pis, qu’à cela ne tienne, je prendrai mon parapluie pour braver les éléments, très contrariants touristiquement parlant. Une fois passée la porte de l’hôtel, l’air est doux et humide, beaucoup trop humide même. Sur la route un peu bosselée, les nids-de-poules, toujours perfides, se camouflent en flaques parfois profondes. Celles-ci, j’essaie de les éviter mais je ne résiste pas au plaisir de patauger dans les plus modestes. Pour une fois que les enfants ne sont pas là pour m’imiter et le Mâle pour me gronder, j’en profite !
Sur mon parapluie, comme dans la chanson, la pluie joue des claquettes. Ce petit crépitement m’enrobe, m’isole. Autour de moi, les murs hauts et blancs gardent leurs secrets domestiques mais des touches de couleur attirent mon œil. Sa peinture bleue écaillée transforme une simple porte en tableau abstrait et les bougainvillées qui dégoulinent le long du porche entretiennent l’illusion d’un jardin luxuriant secret. Les graviers crissent sous mes semelles, la pétarade agaçante d’un scooter se fait entendre au loin.
À gauche ? Pourquoi pas, la rue est encore plus étroite et j’aime bien jouer les aventurières de pacotille. Derrière sa porte entrebaillée, une yiayia m’adresse un salut tout en sourires, un rayon de soleil ridé et rieur dans le gris ambiant.
Tiens, il semble que la pluie se calme. Je remballe mon parapluie, enfin une petite victoire météorologique.
En contrebas, les bateaux dans le port semblent figés dans le temps, pas une ride sur l’eau, pas un souffle de vent ne viennent déranger leur douce torpeur. Cela sent un peu le poisson, d’ailleurs les chats gardent jalousement leur poubelle préférée. À mon approche, ils s’enfuient accompagnés, de façon incongrue, du caquettement d’un troupeau d’oies… Surprenante cette basse-cour balnéaire ! Une version revisitée à la grecque des oies du Colisée peut-être ? Courageuse mais pas téméraire, je m’éloigne du jars mal aimable qui me siffle sa hargne au visage et je quitte le bitume de la jetée pour monter dans le petit bois qui domine le port.
Sous mes pieds, les aiguilles glissent un peu. Un parfum léger s’exhale de cette forêt. ce sont les petits cyclamens roses qui fleurissent un peu partout. Leurs feuilles dessinent des coeurs parfaits que j’évite avec soin d’écraser.
Les troncs s’espacent, le tapis d’aiguilles devient pavement minéral. Face à moi, la mer ouverte, des îles sur la ligne d’horizon et les vagues qui s’écrasent sur les rochers. Tout à coup, un rai de lumière transperce les nuages cotonneux, le bleu reprend enfin ses droits…Ça y est, ma promenade est terminée, j’y suis arrivée : Soleil, je t’ai retrouvé !
* gyros = sandwich grec