Dans les rues de Singapour, aujourd’hui, la foule se presse en une longue et interminable file (plus de 8h d’attente) pour rendre un dernier hommage au père fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew, décédé lundi à 91 ans. Avec lui se tourne une page de l’histoire de Singapour. Singapourienne d’adoption pendant quelques années, mon cœur se serre un peu pour tous les Singapouriens et Singapour sur laquelle il laisse une empreinte profonde, celle de son amour pour ce pays et d’une vision politique hors du commun.
Sur une île à l’avenir bien sombre dans les années 60 et alors que l’emprise britannique se desserrait, il s’imposa comme leader politique et construisit littéralement Singapour, la façonnant pour qu’elle devienne le modèle de développement que l’on connait aujourd’hui. Ambitieux, visionnaire, critiqué, décidé, Lee Kuan Yew fut pendant plus de 30 ans aux rênes du pays. Moi la petite expat’ qui n’avait jamais connu l’Asie, j’ai pourtant l’impression de le connaître un peu. Six mois de formation dans le National Museum of Singapore m’avait permis de mieux appréhender le personnage dans sa facette historique : la chemise blanche du jeune politicien aux dents longues aux moments des élections, ses larmes au moment de l’indépendance de Singapour, à la suite de la sortie de la Fédération de Malaisie, ses discours galvanisants pour les HDBs et sa profonde ambition de créer un sentiment nationaliste au sein d’une population dont la majorité était d’origine migrante de 1965. A mes visiteurs, je le décrivais avec un certain enthousiasme (comment être indifférent à un génie politique ?), lui redonnant sa prestance de jeune homme alors qu’il était déjà vieillissant, remplacé aux commandes du pays par son fils. Il m’était familier, ce pater familias de la nation, celui dont tout le monde attendait les saillies ou les remarques dans la presse, celui dont malgré l’âge on sentait encore l’influence dans les hautes sphères… Et puis, un jour, je suis partie me promener. C’était un dimanche, les enfants et moi étions partis une fois de plus au Marina Barrage nous amuser dans les fontaines et admirer la vue sur la skyline. Alors que nous repartions doucement, un peu démoralisés à l’idée de reprendre le chemin de la maison, prélude à la soirée pré-reprise d’école, une voiturette de golf s’est arrêtée à quelques mètres de moi. Deux policiers en blanc se sont précipités vers la portière pour aider un vieil homme à en sortir. Dans cette silhouette fragile et un peu voûtée, j’ai reconnu Lee Kuan Yew venu, en toute simplicité, faire une petite visite. Je me suis figée, un peu époustouflée : il est passé lentement pas très loin de moi et ces quelques secondes ont été suspendues dans le temps. Les enfants m’ont alors rappelée à la réalité, ne comprenant pas mon intérêt pour cette scène qui semblait anodine. Nous sommes repartis, les enfants chargés de la fatigue de leur après-midi et moi riche d’un beau souvenir. RIP Mr Lee…