Hydra Trail, la version 2018

2018_04_15_Hydra_DSC01406Nous avons l’habitude, elle et moi de sortir ensemble, deux fois par semaine en général, trois si elle est vraiment motivée ce qui n’arrive que rarement en vérité. Nous parcourons les rues du quartier, profitons des parfums des orangers, parfois elle s’arrête pour prendre des photos, un bon prétexte pour se reposer quelques secondes si vous voulez mon avis… Moi, ce que je préfère, c’est lorsqu’elle choisit le parc parce qu’hormis des vieux avec des chiens, on peut croiser des tortues et qu’on a l’impression d’être en pleine nature. Elle, elle rechigne à y aller car ça monte sacrément et elle est un peu fainéante même si elle n’aime pas trop que je le dise.

Après cela, d’habitude, c’est  un petit rinçage sous l’eau du robinet, la tête en bas pour sécher à côté de l’évier et basta mais ce jour-là, j’ai bien senti que ce n’était pas un jour ordinaire:  j’ai tâté du goupillon et comme toutes les gourdes, j’adooooore le goupillon ! Ça me rend toute chose, toute cette virilité plastique avec poils synthétiques. Après ces émotions, j’ai même profité du séchage avec torchon propre, un vrai spa gourdesque. Autant vous dire que l’événement devait être de taille !

Effectivement, j’ai rejoint la casquette blanche, le tee-shirt rose et les baskets bleues (non, ce n’est pas une folle de la mode) dans le sac de voyage qu’elle préparait en discutant avec le Mâle. Elle et lui partaient courir le fameux trail d’Hydra. Comme l’année précédente, elle avait décidé de s’aligner sur le 13 km et ses 570m de dénivelé avec moi, sa plus fidèle amie de course, la gourde. Le Mâle, ainsi que plusieurs joyeux lurons de leurs amis, avaient également décidé de relever avec elle le défi en 2018.Sport et amitié dans un cadre idyllique, le programme du week-end était alléchant. Les enfants étaient de la partie et attendaient avec impatience de retrouver les copains pour aller jouer en toute autonomie dans les ruelles du village, totalement dépourvu de voiture.

En 2017, elle avait tenté de me laisser tomber au profit d’un camel bag, arriviste sans scrupule mais face aux difficultés rencontrées avec la bête, elle avait recouvré la raison in extremis au matin de la course t nous étions parties ensemble à l’assaut des sentiers insulaires. Cette fois-ci, elle m’a confirmée que je serai bien l’unique élue et que c’était le Mâle qui se chargerait de la désagréable outre. J’en ai ri d’avance. La veille de la course, j’ai eu mon quart d’heure de gloire à table, entre les pâtes et les verres de bière des sportifs du dimanche. Gourde ou pas gourde, telle était la question car il était annoncé que les points de ravitaillement ne distribuaient aucune bouteille d’eau, préservation environnementale oblige. Les partisans de la course avec mains libres ont choisi le risque de se dessécher dans les cailloux mais elle, asséchée du gosier par nature, a conforté son choix de courir avec moi à ses côtés. Je n’étais pas peu fière de son attachement à ma personne.

Le jour J, j’ai eu droit, une fois n’est pas coutume, à l’eau minérale et une vérification de mon harnais de portage à main. En vrai ça ressemble à un string pour gourde qui lui permet de me fixer à sa main sans effort de sa part. Pas très seyant, ni pour elle, ni pour moi et en plus pas très confortable (le string, tout ça, tout ça) mais tellement pratique alors j’ai pris l’habitude parce que je suis une gourde dévouée à sa fonction. Quelques minutes avant le départ, nous nous rendons sur le port sur lequel souffle un vent à faire s’envoler toutes les casquettes. Les coureurs s’échauffent, papotent. Nous retrouvons même nos supporters qui se sont levés pour nous voir partir.

Enfin l’heure fatidique arrive. Telle une gazelle (enfin c’est ce qu’elle croit mais je ne la détrompe pas pour ne pas entamer son enthousiasme, elle va en avoir besoin), elle s’élance dans les rues pavées. Comme elle se rappelle bien des premiers kilomètres, elle tente une approche courageuse et essaie de courir relativement vite dans la montée du village. Dans ces cas-là, je m’abstiens de tout commentaire qui pourrait ruiner ses tentatives mais elle se fait doubler par plein de gens dont le Mâle et l’infâme camel bag qui la nargue clairement du tuyau avant d’attaquer le premier sentier. Celui-ci, outre le fait qu’il monte atrocement, se poursuit par des marches dont elle avait oublié qu’elles coupaient autant les jambes. Je la vois subreptiscement regarder sa montre et marmonner « Non, mais qui a eu cette idée de m…? ».

De temps en temps, je lui file une gorgée pour la requinquer un peu. Au premier ravitaillement, mon large goulot est bien utile pour le remplissage alors que les autres coureurs se dépêchent de boire le petit gobelet en carton qui leur est distribué. Je ricane devant un tel manque d’anticipation pratique. On continue la montée, dans la forêt, elle manque de glisser en arrière, bloquée dans sa potentielle chute par des mains amicales et heureusement féminines sur son postérieur. En descente, elle tente de maîtriser son rapport corporel à la gravité mais encore une fois, la partie charnue de son anatomie gagne la partie et elle chute, m’entraînant moi aussi dans la galère. Si elle a perdu un peu de dignité, moi, j’ai gagné de la terre plein l’embout. Pas simple, ma vie de gourde !

C’est facile les descentes, en tout cas quand on ne prend pas trop de risques comme elle mais ça ne dure pas. Les montées reviennent, j’ai largement le temps d’admirer le paysage parce que niveau vitesse, on est quand même plus proche de l’escargot asthmatique que du guêpard mais je préfère ne pas trop le lui rappeler parce que ça l’énerve.

 Après une descente dans un petite vallée, nous traversons un petit champ idyllique couvert de fleurs dans lequel il n’y a pas de chemin. Seules les tiges pliées des fleurs violettes indiquent le passage de ceux qui nous ont précédées dans la petite pâture. Assis sur sa chaise, vêtu du tee-shirt des organisateurs, hilare sous sa moustache, un papou (c’est le nom des papys ici) , le même que l’année dernière, nous encourage avec enthousiasme Pame Paizia (Allez les enfants) nous souhaitant au passage Kalo Mina (Bon mois, c’était le premier avril) et Kalo Pasca (Bonnes Pâques)… Avec tout ça, si on ne fait pas un bon temps…

Dans la montée qui suit, alors qu’elle avance, j’aperçois des orchidées sauvages et quelques chenilles processionnaires qu’elle évite au dernier moment d’un saut que je ne saurais qualifier de gracieux. Je l’entends murmurer en regardant le petit port d’Hydra niché entre deux collines, loin tout en bas : « Que c’est beau ! » pour environ la deux centième fois du trajet. Ça en deviendrait presque lassant si ce n’était pas aussi vrai. Le soleil, la forêt, la mer au loin, le port avec les bateaux qui dansent. Nous avons l’impression d’être seules au monde, elle et moi sur notre petit sentier. Elle m’annonce officiellement que finalement ce semi-marathon citadin prévu mi-avril, nous ne le ferons pas parce que le béton et le bitume, après les petites fleurs et le chemin qui serpente dans la colline, elle n’a plus envie. Je suis un peu déçue parce que ça sent le placard pour moi,ce genre d’annonce car niveau motivation, elle n’est pas très assidue, surtout s’il n’y a pas d’objectif précis. Elle m’a promis  qu’à la place, elle me ferait découvrir les joies de l’entraînement en piscine… N’importe quoi quand on sait, comme moi, combien elle est frileuse ! Enfin, gourde qui vivra, verra…

Nous attaquons la deuxième moitié du trajet, elle est rassurée, les grosses montées sont terminées, il ne reste plusqu’une succession de faux-plats et de mini-descentes, rien d’impossible mais l’année dernière, malgré mon aide précieuse de gourde aguerrie, elle en avait quand même un peu bavé sur la fin. Aujourd’hui tout va bien, nous avançons aisément, nous avons abandonné le rythme de l’escargot pour celui de la tortue pressée. Les kilomètres s’enchaînent, son esprit vagabonde, elle pense à son prochain post sur le blog qu’elle m’annonce m’être dédié. Toute cette célébrité à venir me bouleverse : d’émotion, j’en fuis même un peu du goulot. Je me ressaisis, il ne reste plus que 2 km.

Un drône nous survole, le dernier ravitaillement nous attend, je suis re-remplie d’eau fraîche, elle grignote quelques raisins. J’aimerais pouvoir dire qu’elle s’élance alors avec vigueur mais visiblement ses jambes en ont décidé autrement. Petit à petit, le village se rapproche, c’est maintenant la descente traîtresse sur la plage pour une ultime montée qui si minime soit-elle est un calvaire, ensuite le virage au niveau du moulin où les 3 petits l’attendent courir quelques mètres avec elle. Cela lui redonne le sourire et même un peu d’énergie, elle sait que dans quelques centaines de mêtres, ses fidèles supporters l’attendent (au café) pour l’encourager encore et ce sera enfin l’arrivée sur le port, le long des bateaux puis entre les cafés sous les applaudissements.

Nous franchissons la ligne, elle et moi, main dans la main le string de gourde, en 1h55, un meilleur chrono que l’année précédente qui ne la rend pas peu fière. En tant que gourde officielle, je m’octroie, en toute modestie, une part de cette réussite et d’=’ailleurs, je trouve totalement injuste qu’il n’y ait qu’elle qui  reçoive une médaille et pas moi.  Enfin, je ne l’accompagne pas pour les récompenses mais par pur professionnalisme, gourde par honneur et devoir je suis et je resterai.

Le Mâle arrivé 5 min avant nous attendait derrière la ligne. Pour son premier trail, il s’est bien débrouillé même si le camel bag, toujours aussi imbuvable, a décidé de lui couler dans le dos tout au long de la course. Je savais bien qu’il avait mauvais fond, d’ailleurs c’est de là que venait la fuite.

Encore toute à sa joie d’avoir fini la course, elle a souri et a bu à mes lèvres une dernière gorgée avant de m’abandonner vide un peu plus tard sur la table du café où l’attendaient les amis, triste destin toujours renouvelé d’une fidèle et méritante gourde. J’ai regagné un peu plus tard le sac de voyage avant le grand retour à la maison. Depuis, je me morfonds dans le placard et il ne me reste plus qu’à me demander : à quand le prochain trail ?

 

PS1 : idée de post soufflée par A.

PS2 : Photo prise par le Mâle.

Laisser un commentaire