De jour, c’est juste un algeco un peu pourri, à moitié caché par 2 arbres laborieux. Devant les marches bancales, il y a un espace vide et sableux, une sorte de parking uniquement réservé aux humains. Coincé entre le port et le garage des bateaux, il ne paie pas de mine mais à la nuit tombée, tout change et l’animation s’installe alors que les 2 grandes cheminées se mettent à fumer. Les tabourets et les tables en plastique essaiment sous la lumière crue des réverbères et des quelques néons qui ornent la baraque. Pas de voiturier ici, ni de serveur accueillant pour placer le client, chacun pour soi et poisson pour tous, c’est la devise du lieu. Des dizaines de personnes de toutes nationalités sont plus ou moins installées à l’extérieur debout ou assises tant bien que mal, ça discute, ça rigole, c’est gai, c’est vivant. Dans la petite baraque, on fait la queue pour commander, debout, un coin de fesse appuyé sur une des tables qui sert à délimiter le trajet vers le comptoir, le Saint-Graal et le cas échéant, on se fait engueuler par le patron si on bloque un peu trop le passage. Il fait chaud là-dedans et il faut prendre son mal en patience en attendant que le cuistot prenne la commande des clients qui nous précède. S’il y a une jolie fille, c’est un peu plus long car il a alors la moustache qui frise sous la charlotte et il prend le temps de quelques plaisanteries. On compte les clients qui ressortent, la file s’amenuise doucement et finalement arrive son tour de désigner précisément le poisson que l’on désire manger. Il attend, déjà assaisonné, l’oeil brillant de fraîcheur avec ses dizaines de congénères dans un grand bac. On ne sait pas trop de quelle espèce il s’agit. Vue sa taille, certainement pas une sardine (je suis experte en poissonnologie comme vous pouvez le constater), du hammour peut-être (quel joli nom non ?) mais peu importe, de toute façon, on n’a pas le choix, ce sera celui-là ou rien. Le concept du « restaurant » est simple : pas de menu, pas de variations, une seule façon de préparer le poisson ultra-frais (ou les crevettes) qui est mariné avec du masala et frit selon une recette du Sud de l’Inde. L’heureux élu rejoint un nouveau bac privatif avec le nom du client qui le dégustera, le cuistot encaisse la dîme avant de passer au suivant. Une fois dehors, la sensation de fraîcheur est plus qu’appréciable et l’attente reprend avant de pouvoir déguster les produits de la mer. On reconnaît les habitués des lieux qui ont apporté, dans leur immense prévoyance, leurs propres chaises de camping, voire même la table pliante. Un apartheid déchire cependant le lieu : à droite, le clan de ceux qui attendent, à gauche ceux qui dégustent… Résignés, on rejoint nos compagnons d’infortune et les Mâles partent en chasse pour ramener quelques tabourets et assurer, à défaut de celui de nos estomacs, au moins le confort des postérieurs. Après 30 min d’attente, notre nom est enfin appelé. L’inquiétude de devoir manger sur les genoux s’évanouit car à la remise de la commande est associée celle de la table en plastique et le transit du bon côté de la Force se passe sans encombre. En revanche, il faudra se passer de couverts car ici, c’est avec les doigts que l’on mange et le seul évier du lieu ne chôme pas. Avec le poisson, on réclame quelques parathas, de proches cousins des rotis pratas singapouriens et le fumet du petit curry qui les accompagne nous ramène en Asie. La dégustation peut enfin commencer, les pieds dans la poussière mais avec les étoiles pour spectatrices de la délectation à manger ce poisson absolument délicieux en compagnie de gens venus là uniquement pour le plaisir de manger quelque chose de bon. Bu Qtair, c’est le nom de ce restaurant, cette échoppe pas trop présentable, pas très jolie voire franchement moche qui sert une nourriture peu variée mais indéniablement bonne, voire très bonne. Bu Qtair, c’est tout sauf le glamour, les grosses voitures et les paillettes. Bu Qtair, c’est 0 étoiles au Michelin mais un bouche-à-oreille qui en fait un des lieux les plus recommandés pour manger du poisson à Dubai. Bu Qtair, c’est un boui-boui et moi, les bouis-bouis, j’adore ça.
Infos pratiques :
adresse : Bu Qtair, derrière le port de Umm Suqqeim 2, pas très loin de Burj El Arab.
Le week-end, l’endroit est couru, mieux vaut donc prévoir d’y arriver tôt pour le dîner. Notre temps d’attente, un jeudi soir vers 8h30, fut d’environ 1h (30 min pour la commande ; 30 min pour le service) mais nous avons eu de la chance. Entre l’attente et la nourriture plutôt épicée, nous avons été contents de ne pas y avoir emmené les enfants qui n’auraient pas vraiment apprécié. EN revanche, entre adultes, c’était parfait ! Pour les prix, 2 gros poissons (hammour) + 500 g de crevettes = 160 AED et 4 adultes rassasiés !