C’est un monsieur d’un certain âge. Il a dû être beau plus jeune, il a la carrure encore athlétique, il est grand, élancé. Son survêtement blanc, un peu trop large, cache certainement quelques misères que les années et la gravité ont dû faire subir à son corps. Parfois il promène son chien, une grande bête aux poils blonds à l’air sympathique et fatigué, qui lui ressemble un peu dans la longueur dégingandée de ses membres. Souvent, il est seul et il court, aux mêmes heures que moi dans notre petit quartier aux rues calmes. Enfin, courir, c’est un bien grand mot car le rythme est poussif et laborieux. Les pieds se lèvent à peine du sol et la suspension de la foulée bien peu aérienne mais il persiste. Quelques minutes, une heure peut-être, il projette son organisme récalcitrant dans l’effort, dans une course sans autre objectif que de bouger ses muscles et d’entretenir les rouages de cette enveloppe charnelle qui, la vieillesse venant, se fait plus remarquer par ses souffrances que par ses exploits. Je le croise puis parfois au fil des entrelacs de mon parcours, je le double et à chaque fois je l’admire parce qu’il persiste dans sa non-performance. Je lui ressemble je crois, pas dans la taille, non, (ni l’âge, non plus, merci !) mais dans l’acceptation que finalement, je ne serai jamais très douée en running mais tant pis… Haruki Murakami, dans l’excellent « Autobiographie de l’auteur en coureur de fond », explique qu’à partir d’un certain âge, et ce malgré une pratique régulière de la course, il a compris qu’il ne progresserait plus et que ses performances diminueraient inexorablement sans que sa volonté et ses efforts puissent y changer quoi que ce soit. Et pourtant, il continue… Je n’aime pas le running mais pourtant je continue, je fais quelques courses pour le plaisir partagé avec des inconnus de fouler les pavés et de franchir une ligne d’arrivée dans le seul but d’atteindre une performance à soi-même fixée, sans envie à l’égard de ceux qui sont devant, ni satisfaction d’avoir distancé ceux qui sont derrière. L’unique victoire, aussi modeste soit-elle, est intérieure, comme lorsque j’ai franchi la ligne du 10 km du Athens Marathon 2017, seule, avec juste mon chrono pour compagnon fidèle et, pour une fois, loyal. Assise dans le stade de marbre au milieu des familles des coureurs, j’ai ensuite attendu l’arrivée des marathoniens, profondément touchée par leur effort, émue par leur joie au moment de passer la ligne, fière de ceux que je connaissais, admirative de tous de leur volonté, malgré les efforts et la souffrance…
« Se consumer au mieux à l’intérieur de ses limites individuelles, voilà le principe fondamental de la course, et c’est aussi une métaphore de la vie – et, pour moi, une métaphore de l’écriture » dit Murakami… C’est peut-être pour ça que je continue à courir… et à écrire, qui sait ?
Très joli texte, vous vous êtes fait rare mais vous revenez en beauté…
Merci Tara
Le trop est l’ennemi du bien
Je te rassure, en running je n’en fait jamais « trop » !
Je croyais que vous m’aviez rayée de votre liste et c’est avec plaisir que je vous relis. Suis moi-même sportive, 67 ans et aucun don particulier, confrontée presque chaque jour à mes limites.
Mais je vais voir ce livre que vs citez.
Oh non, je ne raye surtout pas mes lecteurs fidèles mais le blog était juste très silencieux ces derniers temps…